La Côte d’Ivoire, à l’instar de plusieurs autres États africains, espère atteindre l’émergence à l’horizon 2020. Vœux pieu ou réalité incontestable ? L’avenir nous situera. 2020 c’est dans trois (3) petites années.
S’il est vrai qu’il n’existe pas de critères types pour définir un pays d’émergent, néanmoins les quatre (4) éléments les plus souvent cités par les experts sont les suivants :
1 – Une croissance économique potentielle.
Elle doit être supérieure à 5 % sur le long terme. De ce point de vue, si l’on s’en tient aux données officielles communiquées par l’Institut National de la Statistique (INS) le taux de croissance pour 2017 est estimé à plus de 8%, tout comme l’était ceux des années antérieures. Ces données sont-elles fiables ? J’y reviendrai.
2 – La démographie
L’émergence suppose une population jeune, éduquée et avec une croissance démographique notable. Là aussi, si nous nous en tenons aux données statistiques de l’INS, notre pays réunit assez bien les conditions de ce critère. Avec 77,3% de jeunes de moins de 30 ans et un taux de croissance démographique de l’ordre de 2,4%, notre pays fait figure de modèle en Afrique.
3 – Une économie diversifiée
Le critère de la diversité est important et suggère que l’économie d’un Etat prétendant à l’émergence ne soit pas uniquement dépendante des exportations de matières premières. En d’autres termes, les secteurs comme l’industrie et les services doivent être suffisamment développés. Quid de la Côte d’Ivoire ?
Ici il faut le dire tout net, notre économie repose fondamentalement et fortement sur le binôme café – cacao. Une forte baisse des cours de ces matières premières impact négativement sur le budget national.
À ce sujet, le nouveau projet de loi rectificatif adopté le mercredi 10 mai 2017 en Conseil des ministres a revu le budget national à la baisse. Celle-ci résulte de la conjoncture défavorable à laquelle le pays est confronté suite à une baisse de ses recettes fiscales du fait de la chute des cours du cacao dont les cours mondiaux ont chuté de 35 %. Conséquences, le budget 2017 a baissé de 9 %, passant de 6 501 à 6 447 milliards de francs CFA.
Clairement donc, la Côte d’Ivoire n’a pas une économie diversifiée et ne peut sur ce critère majeur prétendre à l’émergence en 2020.
4 – La stabilité politique
Un critère qui apparaît dans toutes les tentatives de conceptualisation de la notion d’émergence. Ce critère implique, en effet, que les institutions publiques soient stables pour permettre la mise en place de politiques pérennes (constructions d’infrastructures…).
Peut-on dire que notre pays est aujourd’hui plus stable qu’hier, avec des institutions solides ? Les récentes crises dans l’armée nous rappellent, bruyamment, entre autres, que la stabilité est loin d’être au rendez-vous. Un pays dont la révision constitutionnelle ne respecte pas les prescriptions de la Constitution à réviser n’est pas stable, pas plus qu’un pays qui maintient dans ses geôles des milliers d’opposants politiques sans jugement ou qui contraint à l’exil ses propres populations n’est pas au rang des pays stables.
Je dirai pour conclure qu’un pays dans lequel la culture et la promotion du faux sont structurelles et qui fait du faux une religion ne peut prétendre à l’émergence. Quel crédit accorder à notre pays, à nos données statistiques, à la parole de nos dirigeants quand le faux, la manipulation et le mensonge sont érigés en système et mode de gouvernance ? Aucun.
Il n’a échappé à personne que quand récemment le ministre de la défense a annoncé en direct à la télévision la fin de la mutinerie du contingent des 8400 suite à un accord avec le gouvernement et qu’il est quelques minutes plus tard contredit par les mutins eux-mêmes, c’est la preuve que l’Etat au plus haut niveau a menti.
Il en est de même pour la manipulation qui a consisté à faire dire à un supposé porte-parole des mutins, devant toute la nation, que ces derniers renonçaient à leurs revendications financières alors qu’il n’en était rien.
Dans un Etat où la vérité est en permanence travestie pour ne pas que la réalité des fait émerge, quel crédit peut-on encore accorder à ses institutions et à son administration ? Peut-on se fier aux statistiques de l’INS s’agissant de notre si belle croissance dont on nous bassine nuit et jour, urbi et orbi, qu’elle démontre la performance de notre économie ? Peut-on avoir confiance dans les résultats électoraux et les taux de participation exhibés par notre très chère Commission Électorale Indépendante ? Doit-on croire en la neutralité et l’objectivité de notre si décriée justice ?
Autant de questions que je me pose quand, horrifié, j’entends ce 29 mai 2017 sur les antennes d’une chaîne de télévision panafricaine qui retransmet en direct le procès des célèbres détenus de la CPI, Gbagbo Laurent et Charles Blé Goudé, que le fameux assassinat de huit femmes à Abobo durant la crise post électorale de 2011 n’était en fait qu’une chimère, un grossier montage, une manipulation des consciences par ce régime qui nous a fait croire que le sang humain avait injustement coulé alors qu’en réalité il ne s’agissait ni plus ni moins que du sang d’un pauvre bovin.
J’ai mal à ma Côte d’Ivoire quand la mauvaise foi atteint de tels sommet d’exaltation et qu’elle est la cause essentielle de la guerre fait à mon pays, du décès et de l’exil de milliers des miens, de la détention de centaines d’innocents pères et mères de famille ici ou à la Haye.
Ma conviction est à présent inébranlable, plus rien ne justifie que Gbagbo Laurent et autres soient encore détenus. Libérez les, libérez la Côte d’Ivoire pour que soient libérées vos propres consciences.
Abidjan le 29 mai 2017
Jean B. Kouadio
Juriste
Citoyen ivoirien.