Pour Noël, Affi Nguessan offre un cours magistral d’économie et de finances à M. Ouattara et à son gouvernement et révèle comment ils pillent avec la caution des députés du RHDP les caisses de l’Etat.
LOI DE REGLEMENT BUDGET 2016
Le processus budgétaire en Côte d’Ivoire est régi par la Loi Organique n°2014-336 du 05 juin 2014 portant Loi de Finances. Cette loi organise en ses articles 49, 50 et 51, l’exécution du budget de l’année écoulée à travers la Loi de Règlement qui constate le montant définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements des dépenses pour une gestion budgétaire donnée, et établit le montant du déficit ou de l’excédent qui en résulte.
Elle constitue ainsi, tout comme une entreprise, les états financiers de l’Etat. Cette Loi de Règlement qui est l’ultime étape du processus budgétaire est présentée au Parlement en vue d’apprécier l’action gouvernementale.
C’est pourquoi, son adoption par le parlement doit intervenir avant toute présentation de nouveau projet de Loi de Finances. En effet, l’article 50 de la Loi Organique stipule que le projet de Loi de Finances de l’année n+1 déposé au Parlement en année (n) ne peut être discuté tant que le projet de Loi de Règlement de l’année n-1 n’a pas été déposé, accompagné des documents concernés.
Ainsi le projet de Loi de Finances de l’année 2018 ne peut être discuté en 2017 si la Loi de Règlement du budget 2016 n’est pas approuvée par le parlement. On le voit, le parlement joue un rôle clé de supervision du processus budgétaire.
Pour l’aider dans cette tâche, l’article 50 de la Loi Organique, prévoit que la Loi de Règlement soit accompagnée du rapport de la juridiction financière (Cour des comptes) sur l’exécution de la Loi de Finances et de la déclaration générale de conformité entre les comptes des ordonnateurs et ceux des comptables publics.
Ainsi, conformément à ce dispositif, le gouvernement a présenté au parlement le projet de la Loi de Règlement en vue de son adoption. Ce projet de loi est accompagné par le rapport de la Cour des Comptes et de la déclaration générale de conformité. Ces documents révèlent que l’exécution du budget 2016 s’est soldée par un déficit de 64 milliards de FCFA qui constate l’écart entre les recettes pour un montant de 5 808 milliards de FCFA et des dépenses pour un montant de 5 872 milliards de FCFA. La Cour des Comptes, dans le cadre de sa mission d’assistance au parlement et au gouvernement, et conformément aux dispositions de la Constitution de la République, a analysé les comptes du gouvernement.
Elle a produit un rapport d’évaluation qui passe en revue l’exécution de la Loi de Finances 2016. Elle a relevé plusieurs dysfonctionnements à travers 14 observations et fait plusieurs recommandations. L’examen attentif de l’ensemble de ces documents appelle les observations sur les points suivants :
• Le délai de production de la Loi de Règlement,
• La situation des comptes du budget,
• L’impact économique et social de la gestion budgétaire.
1. Le délai de production et de soumission de la Loi de Règlement.
Nous constatons avec regret que la Loi de Règlement 2016 est soumis au parlement pour adoption au mois de décembre 2017 au même moment que le projet de la Loi de Finances 2018.
S’il est vrai qu’un délai spécifique n’est pas indiqué dans la Loi Organique portant Loi de finances, la bonne pratique aurait voulu que ces deux lois importantes soient discutées avec des échéances séparées, et en ce qui concerne la Loi de règlement au plus tard en fin du premier semestre 2017.
Le débat sur la Loi de Règlement aurait eu davantage de sens dans la mesure où ses conclusions et recommandations pourraient enrichir l’élaboration de la Loi de Finances 2018. Ce qui n’est pas le cas dans le contexte actuel.
2. La situation des principaux comptes du budget
a. Le scandale des “avances de trésorerie” (compte 470)
Les avances de trésorerie sont des décaissements exceptionnels pour faire face à des situations d’urgence. Selon les dispositions de L’arrêté n°198/MEF/CAB- 01/20 du 13 mars 2009, les mouvements sur ce compte doivent être exceptionnels et doivent être régularisés dans les plus brefs délais, soit quinze (15) jours après exécution. Dans le cadre d’une gestion saine des finances publiques, ce compte devrait présenter un solde nul en fin de période d’exécution budgétaire. Or, au 31 décembre 2016, ce compte est débiteur de la faramineuse somme de 591 milliards de FCFA.
Interrogé par la Cour des Comptes sur cette situation, le gouvernement indique que :
• 56 milliards de F CFA proviennent de la gestion 2016 relatif au débit d’office pour le règlement des échéances de la dette publique. Ce solde serait en attente des mandats de régularisation.
Cet argument est parfaitement irrecevable dans la mesure où les dispositions d’utilisation du compte stipulent très clairement que les mouvements doivent être régularisés sous 15 jours. Il est donc inconcevable qu’à la fin de l’exécution budgétaire, le gouvernement soit encore dans l’attente des documents justificatifs des retraits effectués sur le compte.
• 102 milliards de FCFA sont relatifs aux salaires payés entre la période du 4 décembre 2010 et le 30 Avril 2011 (crise postélectorale).
• 432 milliards de FCFA représentent le cumul des avances aux institutions de la République pour 339 milliards de FCFA et des dépenses diverses de 87 milliards de FCFA au titre de la période de 2003 à 2010.
A propos de ces deux derniers chapitres d’un montant total de 534 milliards de FCFA, le gouvernement sollicite une amnistie en vue de passer ces montants en perte et profit. Cette proposition est à la fois incompréhensible et inadmissible :
– Incompréhensible, dans la mesure où il s’agit d’exiger des structures et institutions clairement identifiées les pièces justificatives de l’utilisation des ressources qui ont été mises à leur disposition.
– Inadmissible, dans la mesure où le gouvernement ne peut pas abandoner 534 milliards de FCFA (soit environ 10% du budget) des ressources des contribuables sans explications.
Où sont passées ces sommes faramineuses ? Et à quoi ont-elles servi ? Pourquoi après toutes ces années les documents justificatifs de ces décaissements n’ont-ils pas été produits ? Ces écritures ne sont-elles pas régularisées ? Au lieu de répondre à ces questions légitimes, le gouvernement demande qu’on ferme les yeux sur une situation qui constitue manifestement un scandale financier de grande ampleur et qui exige en conséquence un traitement particulier au nom de la bonne gouvernance et de la lutte contre l’impunité. Les responsabilités doivent être situées.
En effet, on ne sort pas des sommes des comptes de l’Etat sans un minimum de vigilance et de précaution. Les comptables publics, gestionnaires de ces comptes ainsi que leur hiérarchie doivent des explications à la nation. En tout état de cause, leur responsabilité est engagée et il est impératif que la lumière soit faite sur cette affaire.
b. “Restes à Payer” (compte 40)
Ce compte retrace les dépenses ordonnancées et non payées. Au 31 décembre 2016, il présente un solde créditeur de 1 167 milliards de FCFA. Le gouvernement justifie ces écritures de la manière suivante :
• 63 milliards de FCFA représente la dette titrisée dont l’échéance de règlement n’est pas encore échue.
Pourquoi ce montant figure-t-il au compte des restes à payer ?
Toute dette est accompagnée d’un tableau d’amortissement. Les règlements se font selon le tableau d’amortissement. D’où vient que l’Etat apprête une somme au cours de l’exercice budgétaire de l’année n alors que le paiement effectif n’adviendra qu’à l’année n+1 ?
Cela laisse songeur sur les imputations réelles de ces sommes de sorte que de graves doutes planent sur la sincérité des écritures sur ce compte.
• 667 milliards de FCFA qui sont en attente des avis de décaissement de la part des bailleurs de fonds.
En d’autres termes des engagements de dépense d’un montant de 667 milliards de FCFA pour lesquels, les ressources étaient disponibles auprès des bailleurs de fonds n’ont pas été exécutés. A cause de la gestion approximative de la politique des finances publiques, d’importantes sommes disponibles pour le financement de l’économie ne sont guère utilisées. Le taux de mobilisation des ressources extérieures de 59% et celui des dons-projets de 43% l’atteste clairement.
• 132 milliards de FCFA qui sont des subventions et transferts pour des projets pour lesquels, le règlement se fait par décote et peut s’étendre sur plusieurs années.
L’observation que nous avons faite à propos de la dette utilisée est valable en ce qui concerne les 132 milliards de subventions et transferts.
• 306 milliards de FCFA représentent des dettes fournisseurs qui seraient une « dette flottante ». Selon la définition qu’en donne le trésor public, la dette « flottante » doit être soldée dans un délai de 90 jours. Malheureusement au 31 décembre 2016, 306 milliards de FCFA destinés au paiement des fournisseurs, donc des PME ivoiriennes n’ont pas été réglées. Il ne s’agit plus de dette flottante puisqu’elle viendrait alourdir le stock de la dette intérieure. En effet, au 31 décembre 2016, ce stock s’établissait à la faramineuse somme de 4 038 milliards de FCFA.
Combien de PME peuvent-elles survivre de l’absence de ces paiements ? Quel est le plan du Gouvernement pour apurer définitivement la dette intérieure et se conformer à la règle des 90 jours ?
L’assainissement de la situation de la dette intérieure permettrait de mettre fin aux rumeurs sur les 10% qui seraient exigés des fournisseurs pour le paiement de leurs factures. Il y va de la pérennité de ces entreprises, des emplois associés et de la santé globale de l’économie.
c. “Redevables Trésor et Régies” (compte 411)
Ce compte retrace les restes à recouvrer. Au 31 décembre 2016, il est débiteur de 344 milliards de FCFA dont :
• 342 milliards de FCFA intègrent des soldes de gestion antérieure à 2003 et devenus irrécouvrables. En conséquence, le gouvernement propose l’amnistie.
La Cour des Comptes a émis des doutes sur le bienfondé de la requête du gouvernement dans la mesure où la Direction Générale des Impôts (DGI) et la Direction Générale des Douanes (DGD) déclarent tous les ans, avoir atteint les objectifs de recouvrement qui leur sont assignés. Si une somme est comptabilisée comme à recouvrer, c’est que des avis de débit ont étés lancés aux contribuables identifiés ? Pourquoi alors déclarer ces sommes irrécouvrables ? Pourquoi sont-elles irrécouvrables ? Qui en sont les débiteurs ? Quel est le montant par débiteur ? Les services sont-ils bien organisés pour retracer et recouvrer ces montants ?
Aucune réponse à ces questions fondamentales n’est donnée par le gouvernement qui demande juste que cela soit passé en perte et profit ? Bien évidemment cela n’est pas acceptable.
• 2 milliards de FCFA seraient dans le processus de recouvrement en cours.
Le gouvernement doit nous situer sur le recouvrement de cette somme.
d. “Prêts rétrocédés”(compte 297)
Ce compte retrace les mouvements des prêts contractés par le gouvernement et rétrocédés à certaines entités publiques, qui doivent en retour effectuer le remboursement. Au 31 décembre 2016, ce compte est débiteur de 18 milliards de CFA, c’est-à-dire que les entités à qui ces prêts ont été rétrocédés n’ont pas effectués les remboursements.
Sont concernées : CI-Energies, Fer Palmier, CDMH. Alors que les débiteurs indélicats sont identifiés, la Cour des Comptes note qu’aucune action de recouvrement judicaire n’est entamée et recommande au gouvernement d’utiliser les services de l’agence judicaire du trésor à cet effet.
Par ailleurs, le gouvernement indique que le FNE/SOGEPE a été liquidée, alors que le solde des prêts rétrocédés à cette entité en 2016 était de 14 milliards de FCFA. Quel sort a été réservé à cette dette dans le processus de liquidation ? Le gouvernement reste muet sur la question.
Manifestement, il faut plus de clarté sur les écritures sur ce compte.
e. “Imputation provisoire des dépenses chez les receveurs des administrations financières” (comptes 473.1 et 473.2)
Ce compte retrace les opérations qui devraient se dénouer au 31 décembre. Il fait le point des impayés. Le solde est débiteur de 34 milliards de FCFA au 31 décembre 2016.
Le montant important des impayés sur les comptes des receveurs traduit une faiblesse dans l’organisation des administrations financières. Il est parfaitement inconcevable qu’une administration moderne puisse se satisfaire de clôturer une année fiscale sur un tel niveau d’impayés alors que les moyens juridiques existent pour anticiper et combattre les contribuables indélicats.
L’analyse de certains comptes du budget met en évidence le laxisme, la légèreté avec lesquelles les finances publiques sont tenues. Cela interpelle sur la fiabilité et la sincérité de ces comptes. Il est évident que ce type de comptes ne seraient jamais certifiés par des commissaires au compte si nous étions dans le secteur marchand.
Au-delà de cette analyse comptable du projet de Loi de Règlement 2016, qui a montré de nombreuses lacunes, nous restons sur notre faim concernant l’impact économique et social de la gestion budgétaire.
3. L’impact économique et social de la gestion budgétaire
La politique fiscale matérialisée par le budget et la politique monétaire symbolisée par les opérations de la banque centrale sont les deux instruments de politiques économiques dont dispose le gouvernement.
L’analyse de l’exécution du budget de l’Etat n’a d’intérêt politique que si elle est accompagnée d’informations sur son impact sur la vie économique et sociale de la nation :
• les objectifs économiques et sociaux poursuivis à travers la confection de ce budget ont-ils été atteints?
• Alors qu’on approche 2020, date annoncée de l’émergence, à quel niveau se situe le pays par rapport à ses principaux indicateurs ?
• Quel est l’impact de l’exécution du budget 2016 sur la création d’emploi, le revenu des ménages et la réduction de la pauvreté ?
• Comment se présente le tableau de bord de l’économie ivoirienne (solde budgétaire, indicateurs de la dette publique, taux d’intérêts des emprunts, balances des paiements, critères de convergence UEMOA, etc.) ?
• Etc.
CONCLUSION
L’analyse du projet de Loi du Règlement et des documents qui l’accompagnent révèlent de graves insuffisances :
• La production de la Loi de Règlement dans les conditions actuelles est inappropriée, inefficace et inefficiente.
• Les comptes du budget ne sont pas fiables et comportent des insuffisances scandaleuses que l’Etat refuse de corriger en appelant uniquement à l’amnistie.
• Aucune analyse économique n’accompagne l’exécution budgétaire ; ce qui rend par conséquent l’exercice insipide, voire ridicule.
Au vu de ces faiblesses graves, il est difficile de donner un quitus au gouvernement. Adopter cette Loi de Règlement serait cautionner le laxisme et la mauvaise gestion des finances publiques.
Adopter cette Loi de Règlement serait se rendre complice du scandale des 591 milliards d’avance du Trésor introuvables.
Nos compatriotes ne comprendraient pas. Nos mandants ne nous le pardonneraient pas. C’est pourquoi, j’invite les Honorables Députés à rejeter cette loi de Règlement.
Fait à Abidjan, le 21 Décembre 2017
L’Honorable Pascal AFFI N’Guessan
Député des Sous-Préfectures et Commune d’Andé, d’Assié-Koumassi et de N’Guessankro, et de la Sous-préfecture de Bongouanou