Selon les dernières estimations mondiales, un enfant africain sur cinq est victime du travail des enfants, soit plus que dans tout le reste du monde. Il faut agir pour éliminer le travail des enfants en Afrique et dans le monde d’ici 2025.
Par Cynthia Samuel-Olonjuwon,
Sous-directrice générale et directrice régionale pour l’Afrique,
Organisation internationale du travail
Les enfants qui travaillent endurent de longues heures de travail – parfois plus de 12 heures par jour – avec peu de nourriture et peu de temps pour se reposer. Dans le secteur minier, les enfants travailleurs n’ont d’autre choix que de vivre près des sites miniers, dans des camps de fortune, où ils sont exposés à des produits chimiques toxiques, à des conditions insalubres et à des maladies.
Dans l’agriculture, des enfants de cinq ans à peine endurent des heures de travail, utilisent des outils dangereux, comme des machettes, sont exposés aux pesticides ou portent de lourdes charges sur leur dos. Ces conditions sont inacceptables et, malheureusement, les enfants d’Afrique sont plus susceptibles d’être victime du travail des enfants.
Selon le rapport Travail des enfants : Estimations mondiales 2020, tendances et le chemin à suivre, un rapport publié par l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’UNICEF, 40 millions de filles et 52 millions de garçons étaient victime du travail des enfants sur le continent africain au début de 2020, soit une augmentation de 20 millions d’enfants au cours des quatre dernières années. Cela signifie qu’il y a désormais plus d’enfants qui travaillent en Afrique que dans le tout le reste du monde. Un enfant africain sur cinq est engagé dans le travail des enfants, dont plus de 80 % dans l’agriculture, pour ou aux côtés de membres de la famille.
Malgré des progrès antérieurs, le rapport montre une augmentation spectaculaire du travail des enfants en Afrique depuis 2016. Si des mesures urgentes ne sont pas prises, et rapidement, des millions d’enfants supplémentaires risquent toujours d’être poussés vers le travail des enfants, en raison de la pandémie de COVID-19.
« Rien ne justifie le travail des enfants au 21ème siècle. Il constitue une violation des droits des enfants : le droit de jouer ; le droit d’aller à l’école ; le droit à la santé ; le droit d’avoir une enfance protégée, tel qu’établi dans les conventions n° 138 et 182 de l’OIT. Et bien sûr dans la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant », a déclaré Guy Ryder, directeur général de l’OIT.
Pourquoi les chiffres sont-ils si élevés en Afrique ? Il n’y a pas d’explication simple. Les faits ont montré que les moteurs du travail des enfants sur le continent sont multiples et interconnectés.
La pauvreté est le principal moteur du travail des enfants et les inégalités restent durablement élevées dans de nombreux pays africains. En termes de pauvreté des travailleurs, et selon les dernières estimations de l’OIT, près de 154 millions de personnes, soit plus de 34% des Africains en âge de travailler, ont souffert d’une extrême pauvreté des travailleurs en 2020, gagnant moins de 1,90 dollar US par jour. Les parents et les familles qui peinent à joindre les deux bouts enrôlent souvent leurs propres enfants dans le travail, car ils n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école. La crise du COVID-19 a inversé les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté en Afrique. En 2020, on estime que l’extrême pauvreté des travailleurs atteindra 34 %, contre 31,8 % un an plus tôt.
L’Afrique est également le continent le plus jeune. La croissance rapide de la population a exercé une pression énorme sur la capacité de la région à étendre l’accès à l’éducation et la protection sociale – malgré un engagement fort à dépenser dans ces deux domaines. Les progrès en matière de création d’emplois décents pour les adultes et de réduction du travail des enfants se sont également ralentis.
Le travail des enfants est fréquent dans l’économie informelle, qui se caractérise par des revenus plus faibles et moins réguliers, des conditions de travail inadéquates et dangereuses, des emplois précaires et l’exclusion des régimes de sécurité sociale – autant d’éléments qui peuvent contribuer à rendre une famille dépendante du travail des enfants. L’informalité reste un défi dans toutes les régions, mais plus encore en Afrique, où 86% des emplois africains relèvent de l’économie informelle – plus que dans toute autre région.
Il est prouvé qu’une protection sociale accrue, l’accès à une éducation de qualité gratuite, les soins de santé, l’accès à des possibilités d’emploi décent pour les adultes et l’accès aux services de base créent un environnement favorable qui réduit la vulnérabilité des ménages au travail des enfants.
Enfin, il existe une corrélation entre le travail des enfants et la fragilité.
La plupart des pays en situation de fragilité et de conflit sont situés en Afrique ; un quart des pays d’Afrique subsaharienne ont été définis comme étant dans de telles situations chaque année entre 2015 et 2020. En outre, 39 % des réfugiés, demandeurs d’asile, rapatriés, apatrides et personnes déplacées dans le monde vivent en Afrique subsaharienne.
La situation est désastreuse, mais pas irréversible. Ce n’est qu’avec une action urgente, coordonnée et à grande échelle que les tendances du travail des enfants pourront s’améliorer.
À cette fin, l’OIT a lancé une stratégie ambitieuse afin d’accélérer la protection sociale en Afrique, qui préconise une augmentation des dépenses de protection sociale et d’autres mesures pour que la couverture en Afrique atteigne 40 % d’ici 2025. La stratégie régionale de protection sociale pour l’Afrique, 2021-2025, est un cadre d’accélération de la couverture de la protection sociale pour atteindre les ODD et appelle à des politiques centrées sur les personnes, en mettant l’accent sur la redistribution des revenus pour lutter contre les inégalités croissantes qui ont été amplifiées par la pandémie de COVID-19.
L’OIT et l’UNICEF demandent également l’accès universel à une éducation gratuite de qualité, un travail décent pour les adultes et les jeunes en âge légal de travailler, un regain d’intérêt pour la lutte contre le travail des enfants dans l’agriculture, de meilleures lois pour protéger les enfants, une application efficace et des systèmes complets de protection des enfants.
2021 est l’Année internationale pour l’élimination du travail des enfants. Cette année, l’OIT et l’Union africaine ont organisé conjointement des consultations régionales pour l’Afrique afin de donner aux États Membres et à toutes les autres parties prenantes l’occasion d’examiner les défis et les actions concrètes nécessaires à l’élimination du travail des enfants dans la région. Ce forum est également l’occasion de définir les priorités pour le continent avant la Vème Conférence mondiale sur le travail des enfants, qui se tiendra, pour la première fois en Afrique, en mai 2022.
Sans une action urgente et coordonnée, l’Afrique ne sera pas sur la bonne voie pour atteindre la cible 8.7 des Objectifs de développement durable, qui engage tous les États membres des Nations unies à prendre des mesures urgentes pour éradiquer le travail forcé, l’esclavage moderne et les pires formes de travail des enfants. Sans une action accélérée et stratégique, telle que décrite dans le Plan d’action décennal de l’Union africaine pour l’éradication du travail des enfants, du travail forcé, de la traite des êtres humains et de l’esclavage moderne (2020-2030), près de 105 millions d’enfants, rien qu’en Afrique, seront soumis au travail des enfants en 2025. Nous ne pouvons tout simplement pas rester sans rien faire et laisser cela se produire.
Selon les mots de l’ancien enfant travailleur et activiste Dibou Faye du Sénégal : « Le travail des enfants détruit les rêves, étouffe les talents et accroît la pauvreté. »
Nous devons tous faire notre part pour mettre fin au travail des enfants et assurer un meilleur avenir aux enfants d’Afrique.