
La crise croissante de la dette et son coût humain
La crise de la dette en Afrique a atteint des proportions alarmantes, compromettant le progrès social et économique sur tout le continent. De nombreux gouvernements africains, dont la Côte d’Ivoire, ont eu recours à des emprunts excessifs pour financer le développement, les infrastructures et les services publics. Cependant, le fardeau du service de la dette, souvent imposé par les conditions strictes des bailleurs de fonds internationaux comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, a coûté très cher aux citoyens africains, en particulier à la classe ouvrière et aux pauvres.
En 2023, la dette publique ivoirienne s’élevait à 55,8 % du PIB, un niveau dangereusement proche du seuil de 60 % recommandé par le Programme de coopération monétaire africaine (PCMA). Cette tendance s’inscrit dans une tendance plus large observée en Afrique, où l’augmentation de la dette a entraîné une augmentation des mesures d’austérité, une réduction des dépenses publiques consacrées aux services essentiels et une érosion des droits des travailleurs. Au lieu de favoriser le développement, le remboursement de la dette épuise les ressources nationales, laissant peu de place aux investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures qui bénéficieraient directement aux citoyens.
La crise est encore aggravée par les programmes d’ajustement structurel (PAS), qui ont historiquement imposé des mesures économiques draconiennes, telles que les privatisations, la suppression des subventions et le gel des salaires. Ces politiques affectent de manière disproportionnée la classe ouvrière, plongeant des millions de personnes dans une pauvreté encore plus grande tout en donnant la priorité aux créanciers étrangers au détriment de la stabilité économique locale.
Appel à l’action : rassemblement de masse de la CSI-Afrique à Grand Bassam
En réponse à cette crise croissante, l’Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale-Afrique (CSI-Afrique) et ses affiliés de tout le continent, aux côtés des syndicats de Côte d’Ivoire, organisent un rassemblement de masse à Grand Bassam pour protester contre le fardeau insoutenable de la dette africaine. Ce rassemblement est un moment crucial pour que les syndicats, les travailleurs et la société civile s’unissent pour exiger un allègement de la dette, des politiques d’emprunt responsables et des systèmes économiques qui privilégient les personnes au détriment du profit.
Cette mobilisation s’inscrit dans le cadre de la campagne plus large de la CSI-Afrique sur la dette africaine, lancée lors de son 5e Congrès à Nairobi en novembre 2023. La campagne vise à mettre en lumière les structures économiques injustes qui maintiennent les nations africaines dans un endettement perpétuel et à promouvoir des solutions alternatives qui favorisent le développement durable et la justice sociale.
Pourquoi ce rassemblement est important pour les syndicats et les travailleurs africains
Selon le secrétaire général de la CSI-Afrique, le camarade Akhator Joel Odigie, « pour les syndicats africains, la crise de la dette n’est pas seulement un problème économique, c’est aussi un problème de droits des travailleurs. Le fardeau de l’austérité liée à la dette pèse de manière disproportionnée sur les employés du secteur public, les travailleurs informels, les femmes et les jeunes, ce qui compromet la sécurité de l’emploi, les salaires et les protections essentielles du travail » .
L’une des conséquences les plus pressantes de la crise croissante de la dette en Afrique est l’impact des mesures d’austérité sur les salaires du secteur public. Alors que les gouvernements peinent à honorer leurs obligations de remboursement de la dette, ils sont souvent contraints de geler les salaires ou de supprimer des emplois dans le secteur public. Cela a des conséquences désastreuses pour les enseignants, les professionnels de la santé et les fonctionnaires, qui sont confrontés à une stagnation des revenus malgré la hausse du coût de la vie. La baisse des salaires et les pertes d’emplois dans ces secteurs essentiels affectent non seulement les travailleurs individuels, mais affaiblissent également la prestation des services publics, ce qui conduit à des hôpitaux surchargés, à des écoles sous-financées et à une baisse générale de la qualité des services essentiels.
Outre la baisse des salaires, une autre tendance alarmante est la privatisation des services essentiels. Sous la pression des bailleurs de fonds et des institutions financières internationales, de nombreux gouvernements africains ont été contraints de vendre des biens et des services publics, transférant le contrôle de ressources vitales comme l’eau, l’électricité et les soins de santé à des entités privées. Cette évolution se traduit souvent par des coûts plus élevés pour les citoyens ordinaires, car les services privatisés privilégient le profit au détriment de l’accessibilité et du prix. Le fardeau de ces coûts croissants pèse plus lourdement sur les familles et les travailleurs à faibles revenus, ce qui creuse les inégalités sociales et économiques.
En outre, la demande incessante de remboursement de la dette limite considérablement la capacité des gouvernements à investir dans les programmes de protection sociale, notamment la protection sociale, les retraites et les allocations chômage. En conséquence, des millions de citoyens vulnérables se retrouvent sans soutien adéquat, ce qui les contraint à vivre dans des conditions économiques précaires. Au lieu de financer des initiatives visant à fournir des filets de sécurité aux chômeurs, aux personnes âgées et aux populations marginalisées, les ressources publiques sont détournées vers le remboursement des créanciers étrangers. Cette érosion de la protection sociale menace les fondements de la stabilité économique, ce qui rend plus difficile pour les nations africaines de sortir du cycle de la pauvreté et du sous-développement.
Ces problèmes soulignent l’urgence de réévaluer les politiques d’endettement et de s’orienter vers des stratégies économiques qui privilégient le bien-être des travailleurs et des citoyens africains plutôt que le remboursement de la dette. Sans action immédiate, l’imposition continue de mesures d’austérité, de privatisations et de coupes dans les dépenses sociales ne fera qu’aggraver les difficultés économiques et compromettre les perspectives de développement à long terme.
L’un des aspects les plus négligés et pourtant les plus profondément touchés par la crise de la dette est la reproduction sociale, c’est-à-dire le travail non rémunéré qui permet aux familles, aux communautés et aux sociétés de vivre. Alors que les gouvernements réduisent le financement des services publics, la responsabilité de la garde des enfants, des soins aux personnes âgées, des soins de santé et de l’éducation incombe de plus en plus aux ménages, en particulier aux femmes. Lorsque les hôpitaux publics manquent de fonds, les femmes doivent s’occuper de leurs proches malades à la maison. Lorsque les budgets de l’éducation sont réduits, elles doivent trouver des moyens de soutenir l’apprentissage de leurs enfants. Lorsque les programmes de protection sociale sont érodés, les familles doivent supporter seules le fardeau de l’instabilité financière.
Ce travail invisible est l’épine dorsale de la société, mais il est constamment sous-estimé et rendu plus difficile par les mesures d’austérité liées à la dette. Les femmes, qui assument déjà la majorité du travail de soin non rémunéré, sont touchées de manière disproportionnée, car elles ont un accès limité à un emploi décent, à l’indépendance économique et à la mobilité sociale. Au lieu d’investir dans des politiques qui soutiennent les familles et les communautés – comme des services de garde d’enfants abordables, des soins de santé universels et des programmes de protection sociale – les gouvernements donnent la priorité au remboursement de la dette, aggravant ainsi les difficultés économiques au niveau des ménages.
Un avenir économique juste et durable pour l’Afrique doit inclure la reconnaissance et l’investissement dans la reproduction sociale. Le renforcement des services publics, l’élargissement de l’accès au crédit abordable et la mise en œuvre de politiques visant à atténuer la précarité financière permettront de créer une société dans laquelle le bien-être, et non la dette, déterminera notre avenir collectif. Si l’on ne s’attaque pas au fardeau que représentent les politiques d’austérité induites par la dette pour les ménages, en particulier pour les femmes, la justice économique et le développement durable resteront hors de portée.
En se mobilisant à Grand Bassam, la CSI-Afrique et ses alliés cherchent à donner aux syndicats le pouvoir de défendre la justice en matière de dette. Le rassemblement amplifiera la voix des travailleurs, des agriculteurs et des communautés marginalisées qui sont les plus touchés par les difficultés économiques liées à la dette.
Les objectifs de la campagne
Le prochain rassemblement à Grand Bassam est une étape cruciale dans la lutte contre la crise de la dette paralysante de l’Afrique, avec plusieurs objectifs clés en son cœur.
Le rassemblement vise avant tout à sensibiliser le public aux conséquences socio-économiques dévastatrices de la dette sur les travailleurs africains et leurs familles. En mettant en lumière les conséquences directes des mesures d’austérité – comme le gel des salaires, les coupes dans les services publics et la hausse du prix des biens de première nécessité – le mouvement vise à attirer l’attention du monde entier sur l’urgence de procéder à des réformes.
Au-delà de la sensibilisation, le rassemblement servira de plateforme puissante pour exiger la justice en matière de dette. Les manifestants et les syndicats réclameront des processus de restructuration de la dette justes et transparents, y compris l’annulation des dettes injustes et odieuses qui continuent de peser sur les économies africaines. Beaucoup de ces dettes, accumulées dans le cadre d’arrangements financiers abusifs, ont donné la priorité aux intérêts des créanciers au détriment du bien-être des citoyens africains. En se mobilisant autour de cette question, le mouvement fera pression pour que les politiques de la dette soient conformes aux principes d’équité et de souveraineté économique.
Un autre objectif clé est de promouvoir des politiques économiques durables qui privilégient l’investissement social plutôt que le remboursement incessant de la dette. Au lieu de consacrer les ressources nationales au remboursement des créanciers étrangers, les gouvernements africains doivent se concentrer sur le renforcement de l’éducation, de la santé, des infrastructures et des programmes de protection sociale. En plaidant pour un changement des priorités économiques, le rassemblement cherche à remettre en question le statu quo et à promouvoir des politiques financières qui améliorent les communautés plutôt que de les appauvrir.
Enfin, le rassemblement aura pour objectif de renforcer la mobilisation des travailleurs sur tout le continent. Les syndicats africains jouent un rôle crucial dans l’élaboration de politiques économiques qui défendent les droits des travailleurs et promeuvent la justice sociale. Ce rassemblement servira de force unificatrice, rassemblant des syndicats, des organisations de la société civile et des militants de toute l’Afrique pour construire un mouvement collectif en faveur de l’allègement de la dette et de l’équité économique. En encourageant la solidarité, le rassemblement permettra aux travailleurs de jouer un rôle actif dans la revendication de politiques qui garantissent la dignité, des salaires équitables et la stabilité économique pour tous.
Grâce à ces efforts, le rassemblement vise à susciter un changement durable, en faisant pression pour une Afrique où les politiques économiques servent les citoyens et non les intérêts des détenteurs de dettes.
La situation dans son ensemble : la dette, le changement climatique et la reproduction sociale.
La crise de la dette en Afrique n’est pas un cas isolé : elle est intimement liée à des injustices économiques et environnementales plus vastes. Le lourd fardeau de la dette empêche les pays africains d’investir dans l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique, laissant les communautés vulnérables exposées aux catastrophes environnementales. La Côte d’Ivoire, l’un des principaux producteurs de cacao au monde, est confrontée à d’importants défis liés au climat, notamment la déforestation, la dégradation des sols et les conditions météorologiques extrêmes. Sans souveraineté financière, le pays ne peut pas mettre en œuvre des politiques agricoles et environnementales durables.
En outre, la dette a des répercussions sur la reproduction sociale, c’est-à-dire sur le travail non rémunéré qui consiste à prendre soin des familles et des communautés. Les femmes, qui jouent un rôle crucial dans le maintien de la cohésion sociale, sont celles qui supportent le plus lourd fardeau des crises économiques. Alors que les gouvernements réduisent les dépenses de santé, d’éducation et de services sociaux, les ménages, en particulier ceux dirigés par des femmes, doivent assumer ces responsabilités, ce qui accentue les inégalités entre les sexes.
Le rassemblement de masse de Grand Bassam devrait avoir un impact considérable, tant en Côte d’Ivoire que sur tout le continent africain. En réunissant des syndicats, des organisations de la société civile et des mouvements populaires, la manifestation vise à mobiliser un soutien à grande échelle en faveur de la justice économique. Par une action collective, les travailleurs et les communautés enverront un message fort selon lequel les politiques de la dette doivent donner la priorité au bien-être des populations plutôt qu’aux obligations financières envers les créanciers étrangers.
Au-delà de la mobilisation, le rassemblement vise à faire pression sur les gouvernements africains et les bailleurs de fonds internationaux pour qu’ils modifient leurs priorités économiques. Au lieu de consacrer les ressources nationales au remboursement de dettes insoutenables, les gouvernements doivent investir dans des secteurs sociaux essentiels tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. En amplifiant la voix des travailleurs et des communautés marginalisées, le rassemblement incitera les décideurs politiques à adopter des stratégies financières qui favorisent le développement plutôt que d’aggraver la pauvreté.
Un autre impact clé de ce rassemblement est son rôle de renforcement des efforts de plaidoyer mondial en mettant la crise de la dette en Afrique francophone sous les projecteurs internationaux. Historiquement, les discussions sur le fardeau de la dette de l’Afrique ont été dominées par les points de vue anglophones, ce qui a conduit de nombreux pays francophones à être sous-représentés dans les campagnes mondiales pour la justice de la dette. Ce rassemblement contribuera à combler ce fossé, en veillant à ce que les défis uniques auxquels sont confrontés la Côte d’Ivoire et d’autres pays francophones reçoivent l’attention qu’ils méritent dans le débat international plus large.
En fin de compte, le rassemblement vise à influencer les réformes politiques qui favorisent un emprunt responsable, l’allègement de la dette et des politiques économiques qui privilégient la justice sociale. En faisant pression pour une restructuration transparente et équitable de la dette, le mouvement cherche à créer un changement à long terme qui profite aux travailleurs et aux citoyens, plutôt qu’à perpétuer les cycles de dépendance économique. Grâce à un plaidoyer et une solidarité soutenus, la manifestation de Grand Bassam contribuera à un mouvement croissant pour la souveraineté économique et la justice à travers l’Afrique.
Conclusion : un avenir sans dépendance à l’endettement
Le rassemblement de Grand Bassam est plus qu’une manifestation : c’est un mouvement en faveur d’un nouveau paradigme économique qui place les travailleurs, les familles et les communautés africaines au centre des décisions économiques. L’appel à la justice en matière de dette est un appel à la dignité, à la souveraineté économique et à un avenir où les nations africaines ne sont pas piégées dans des cycles d’emprunts et de remboursements aux dépens de leurs populations.
La CSI-Afrique et ses organisations affiliées s’engagent à remettre en cause les systèmes d’endettement injustes, à exiger des comptes des bailleurs de fonds internationaux et à plaider en faveur de politiques qui améliorent les conditions de vie des travailleurs et des communautés africaines. Le rassemblement en Côte d’Ivoire est une étape cruciale dans cette lutte pour la justice économique, et son impact résonnera bien au-delà de Grand Bassam, inspirant des mouvements similaires à travers le continent.
Il est temps d’agir. Les travailleurs, les syndicats et les citoyens africains doivent s’unir pour libérer leur avenir de l’emprise de la dette !