Ils sont jedis. Mais ceux-là ne viennent pas de la galaxie lointaine de Tatouine ou de Coruscant. Ils vivent dans le monde réel, essentiellement dans des pays anglo-saxons. Plus de 500.000 personnes se revendiquaient de la religion jedi lors du recensement de 2011. Rien qu’au Royaume-Uni, ils étaient 390.000, faisant de la religion jedi la quatrième du pays, derrière le christianisme, l’islam et l’hindouisme. Ces chiffres particulièrement élevés faisaient suite à une intense campagne de mailing, affirmant que, si suffisamment de personnes se déclaraient officiellement jedi, le jediisme serait reconnu comme religion.
Pour certains, ces déclarations traduisaient une envie de protester ou de se moquer de la religion. Mais le phénomène n’en est pas moins sérieux. Répartis aux quatre coins du globe, les jedi tissent des liens via Internet. Contactés sur Facebook, ils expriment leur manière d’appréhender la pensée jedi dans la vie de tous les jours.
Deux écoles se détachent : « Le jediiste considère la Voie comme sa religion, alors que le jedi réaliste la définit plutôt comme une manière de vivre », explique Silmerion Skywalker. La jeune femme, qui utilise un pseudonyme comme la plupart des membres de la communauté, considère la Voie Jedi comme « une philosophie qui contient des concepts de plusieurs religions et spiritualités, les rendant universels ». Mais c’est aussi « une discipline, qui me permet de développer tout mon potentiel physique, mental et spirituel. Tous les jours, je travaille la méditation, la Force, les arts martiaux, le sabre laser ou encore l’art ».
Même conception pour Michael Keady. Cet Australien a commencé à suivre la Voie Jedi en avril 2012. « J’ai été attiré, car je m’intéresse aux études religieuses et philosophiques. » Michael interprète la Voie comme « un idéal, une image vers laquelle je dois m’élever. Dans le monde réel, la Voie jedi se réfère au progrès personnel, au service de l’autre et de la communauté ».
Car la réalité aurait dépassé la fiction : « La religion jedi se réfère à la Voie, qui perçoit la vie comme un voyage. Un concept inspiré de l’archétype du voyage du héros selon l’anthropologue Joseph Campbell. Le réalisateur George Lucas a repris cette base pour Star Wars. Mais le film n’est rien de plus que le concept d’inspiration originel. Il n’existe pas d’Évangile selon Skywalker ou de référence de ce type. Nous avons adapté la majorité de la philosophie au monde réel. »
Plus qu’une philosophie, le jediisme peut se transformer en foi. « Certains militants athées considèrent que défendre le jediisme comme une religion, c’est répéter les mêmes erreurs que tous les groupes religieux. Mais c’est la religion à laquelle j’adhère », assume Viswha Jay, de Salt Lake City (États-Unis). Une déclaration d’autant plus étonnante que ce jedi est aussi… un acharya, un maître bouddhiste ! « Mon travail d’acharya me permet de vivre. Mais le bouddhisme n’est pas ma foi. Je suis jediiste. »
L’un des principes du jediisme est la tolérance. « Il existe des jedis chrétiens, hindous, musulmans, bouddhistes, taoïstes… Plusieurs voies, plusieurs visions, mais un objectif commun : accepter les points de vue des autres. Être tolérant, c’est une marque de leadership dans la communauté. »
Les réseaux sociaux, outils de la Force
Autre caractéristique de la communauté jedi : sa présence sur le web et les réseaux sociaux. Viswha Jay, qui gère deux sites Internet sur le jediisme, voit dans Facebook « une ressource, par sa capacité inégalée à rassembler les gens. C’est une manière de confronter nos différentes visions et perceptions ». Le premier groupe Facebook de l’Église jedi a été créé en 2006, avant d’être dissout par le réseau social. « L’opinion croyait que le jediisme avait des liens avec Anonymous et les groupes qui cherchaient à saper les systèmes de contrôle dans le monde. Plus tard, on a accusé le jediisme d’être un groupuscule caché issu de la Scientologie. Quand les responsables se sont rendus compte que ces assertions s’avéraient fausses, le groupe a été rétabli, en 2007 ».
Depuis, les groupes jedi se sont multipliés sur les réseaux sociaux. « Difficile d’évaluer le nombre total de membres, mais au moins un groupe compte plus de 8 000 inscrits. Cependant, là-dessus, seuls 5 % sont vraiment actifs. » Tous les membres ne s’investissent avec la même intensité. Si certains suivent la Voie jedi de façon éphémère, d’autres sont devenus des maîtres. C’est le cas de l’Américain Ally Thompson : « Je suis administrateur de l’Église jedi et chevalier de l’Académie de la Force, le plus vieil ordre jedi de la communauté, fondé en 1998. Je suis également chevalier jedi de la Terre du Cœur, et apprenti du temple de l’Ordre Jedi, fondé en 1996. » Sur le papier, ces statuts n’apportent pas de reconnaissance particulière. « Cela n’empêche pas certains d’entre nous de voyager d’un ordre à l’autre pour apprendre comment vivre et enseigner la Voie du jedi. »
Ces passerelles ont mené à la révision de la Pyramide jedi en 2013. « On l’appelle désormais la Boussole du jedi. Ce document contient la base de la Voie jedi validée par l’ensemble des ordres. » Ensuite, à chacun son école, détaille Ally Thompson. « Certains ordres peuvent être plus laxistes sur l’art physique, alors que d’autres demandent un programme d’entraînement poussé. Pendant longtemps, l’art physique se bornait au taekwondo (art martial d’origine sud-coréen) et au dulon (combat au sabre laser). Même chose pour la méditation : tu peux exiger plus d’arts spirituels que la méditation. Mais si tu ne la pratiques pas un minimum, tu n’es pas un jedi. En somme, on peut ajouter des règles à la Boussole du jedi, mais on ne peut pas en enlever ».
La « secte » des tutuistes
Cette « Boussole » s’apparente à un dogme jedi. Ce qui n’empêche pas certains groupes de s’en écarter. Car la religion jedi a aussi ses « sectes ». C’est du moins le terme employé par la plupart des jedi pour désigner l’Église du grand maître Tutu. « Chercher notre Église sur Google est inutile, nous sommes une organisation très secrète », prévient Dominic Avereiro, alias Maître Jedi Wobblepants (« Pantalons tremblants »). Tous les quinze jours, les tutuistes se rassemblent pour s’entraîner au sabre laser. Une activité courante chez les jedi. Mais les fidèles de Tutu ont des pratiques bien à eux : « Dans notre temple, nous gardons un ours en peluche, que nous appelons Chewy. Nous avons également nommé la poubelle des toilettes R2-D2. Surtout, nous sacrifions régulièrement des concombres, tomates et oignons ». Et la « secte » n’hésite pas à faire références aux anciens cultes païens : « Techniquement, nous sommes tous des druides. »
Comme beaucoup de nouveaux mouvements religieux, le jediisme propose des solutions spirituelles à la carte. Bien que récente dans le paysage, la religion jedi est parvenue à établir un dogme, avec ses règles, auxquelles doivent se référer les différentes branches. Qu’ils considèrent la Voie Jedi comme une philosophie ou une religion à part entière, les jedi du monde entier ont fait de la fiction une réalité. Si vous n’êtes pas encore prêts à vous convertir à la religion de Yoda, du moins regarderez-vous les films Star Wars d’un autre œil.