TRAFIC ILLICITE DE MEDICAMENTS, PHENOMENE KADHAFI : RECOMMANDATION
En Côte d’Ivoire, un certain nombre de textes législatifs et règlementaires encadrent les activités de production, de distribution et de dispensation au grand public de médicaments et autres produits de santé.
L’Ordre National des Pharmaciens de Côte d’Ivoire a un certain nombre de missions dont la première est de veiller au respect de ces dispositions.
Malheureusement, force est de constater qu’actuellement de grosses dérives entachent ce processus et la partie la plus visible reste le trafic illicite de médicaments à travers le marché de la rue.
Ces jours-ci, un phénomène nouveau appelé « KADHAFI » est apparu dans notre pays compromettant gravement la santé de nos jeunes et adolescents alors que nous sommes en pleine année dédiée à la jeunesse.
C’est ainsi que l’Ordre National des Pharmaciens de Côte d’Ivoire garant de la légalité et de la moralité professionnelle à travers son rôle de Santé Publique se doit d’interpeler les pouvoirs publics, les populations, les professionnels de santé et le Président de la République afin que les mesures urgentes soient mises en œuvre pour éradiquer ce mal pernicieux, d’où cette conférence de presse. C’est pour accompagner la République de Côte d’Ivoire dans les prises de décisions pouvant protéger le bien-être et la santé des populations.
TRAFIC ILLICITE DE MEDICAMENT
Pour nous professionnels de santé, toute forme de fabrication, de distribution ou de dispensation de médicaments et produits de santé en dehors du circuit légal établi constitue le trafic illicite de médicaments.
Pour rappel le circuit légal étant la production, la distribution et la dispensation aux populations selon les textes réglementaires : fabricants, distributeurs et établissements pharmaceutiques de dispensation au détail (officines de pharmacie privée et pharmacie à usage intérieur des hôpitaux).
En un mot toutes ses activités doivent se faire sous le contrôle du professionnel de santé qu’est le pharmacien parce qu’il est le spécialiste du médicament.
Dans notre pays ce phénomène existe et prend de l’ampleur de jour en jour.
Le marché emblématique de « Roxy » (Adjamé) en est le symbole visible mais en réalité il est pratiqué dans toutes les régions et villes de notre pays.
Le trafic est dangereux en ce sens qu’il ne donne aucune traçabilité sur les produits distribués et les conséquences de ce commerce de la mort sont à 5 niveaux :
Plan sanitaire : ces produits qui sont parfois contrefaits, sur-dosés ou sous-dosés ou même parfois sans principe actif sont pour beaucoup dans les insuffisances rénales, insuffisances hépatiques, maladies de la peau, maladies psychologiques etc.
Plan économique : les pertes pour l’économie nationale sont estimées à un peu plus de 50 milliards de FCFA par an.
Plan social : les drames sociaux sont provoqués parce que pour traiter une simple migraine on peut se retrouver avec une insuffisance rénale qui va entrainer plus de dépenses pour les familles et plus de stress social.
Plan sécuritaire : ce trafic est (de toutes les études) largement plus lucratif que celui de la drogue (20 fois plus lucratif selon certaines publications).
Plan environnemental : ces produits qui sont généralement abandonnées ou jetés dans la nature sans processus réel de destruction peuvent être de véritables sources de contamination créant ainsi un véritable problème environnemental.
LE PHENOMENE KADHAFI
En 2023 des jeunes de Côte d’Ivoire cherchant à imiter la pratique du « Zombie » aux USA doivent faire avec ce qu’ils ont sous la main.
L’opioïde qui circule majoritairement dans le trafic illicite de médicament est le Tramadol. Il devient donc l’ingrédient majeur d’une préparation obtenue en y ajoutant une boisson énergisante fortement alcoolisée (18%). Ces jeunes toxicomanes se lancent des défis, ils font des enregistrements vidéos de leurs activités et les mettent en ligne. Celui qui avale le plus grand nombre de comprimés avec la boisson alcoolisée se rapproche davantage de l’allure du consommateur de la drogue du « Zombie ». Cette préparation considérée comme une drogue a des propriétés psychoactives qui entrainent une dépendance physique, psychique et une tolérance en un mot détruit la personnalité du toxicomane en le transformant en « Zombie ».
Le phénomène « Kadhafi » est une conséquence du trafic illicite des médicaments sur nos populations. Il faut donc lutter efficacement contre ces pratiques.
LA CONFIANCE DANS LA MEDECINE MODERNE
Nous avons constaté ces derniers temps sur les réseaux sociaux que certaines personnes au nom de chapelle politique ou de religion s’attaquent à la pharmacie et plus généralement au système de santé moderne, sans proposer d’alternative crédible et fiable.
Nous interpellons les populations à se détourner des propos irresponsables de ces vendeurs d’illusions, de fréquenter les centres de santé classiques et de s’approvisionner en médicaments dans les structures dédiées notamment les pharmacies.
L’Etat de Côte d’Ivoire à l’instar de tous les pays du monde entier a fait de gros investissements dans le système de santé de notre pays, nous saluons vivement ces efforts et nous nous employons à améliorer ce système notamment pour ce qui concerne le médicament en faisant la promotion des médicaments classiques, mais aussi ceux qui sont issus de la pharmacopée traditionnelle africaine.
C’est ensemble avec les efforts conjugués de tous que nous réussirons à faire reculer les maladies et à faire évoluer l’espérance de vie dans notre cher pays.
RECOMMANDATIONS DE LA PROFESSION PHARMACEUTIQUE
A l’endroit de l’Etat
Prendre un engagement fort au niveau du Conseil national de sécurité présidé par le Chef de l’Etat pour l’éradication du trafic illicite de médicaments en Côte d’Ivoire ;
Couper toutes les sources d’approvisionnement des MQIF et démanteler tous les marchés de vente illicite de médicaments sur toute l’étendue du territoire national, comme les autorités de certains l’ont fait (cas du Bénin);
Appliquer les sanctions définies dans les lois régissant le secteur pharmaceutique de 2015, 2018 et la convention Médicrime contre les acteurs du trafic de MQIF interpellés ;
Accentuer la promotion de la politique d’accessibilité des populations aux médicaments à travers la promotion des médicaments génériques, la substitution, le déconditionnement et la couverture maladie universelle ;
Identifier une seule structure pour le contrôle du circuit des médicaments à usage humain et à usage animal pour faciliter la régulation dans l’intérêt de la santé publique ;
Assurer la prise en charge médicale et psychique des victimes du phénomène « KADHAFI ».
A l’endroit des professionnels de la santé
Respecter les notes d’informations de l’Ordre National des Pharmaciens en date du 03 décembre 2018, de l’Autorité Ivoirienne de Régulation Pharmaceutique du 12 septembre 2023 et la note de rappel de ce jour, relatives à la dispensation de certains médicaments notamment ceux qui agissent au niveau du système nerveux central.
A l’endroit des populations
Appeler les parents à plus de vigilance et de rigueur dans le suivi de leurs progénitures ;
S’approvisionner en médicaments uniquement dans les officines de pharmacie et ne fréquenter que les établissements de santé légaux.