Côte d’Ivoire:Dr. Erick Amani Enseignant et Chercheur / Entrepreneur social :«Pourquoi je suis contre la légalisation de la polygamie»

Côte d’Ivoire:Dr. Erick Amani Enseignant et Chercheur / Entrepreneur social :«Pourquoi je suis contre la légalisation de la polygamie»

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L’idée de la légalisation de la polygamie présentée et défendue à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire par le Député de la commune de Koumassi il y a quelques semaines est inquiétante. Sur la question, chacun a le droit, puisque la législation le lui permet, d’avoir et de dire son avis. Chacun a également le devoir de réagir en tant que citoyen.
Je me permets donc de donner mon opinion en tant qu’intellectuel, en tant qu’acteur de la société civile et défenseur des droits humains. Mon inquiétude est grande devant ce que l’Assemblée nationale s’apprête à faire au peuple de Côte d’Ivoire pour les raisons qui suivent :

Premièrement, la Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016, en son article 4, indique sans confusion que « tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe … ». Si on s’en tient à ce qui est inscrit dans cet article, si cet article est vrai et qu’il tient, si son contenu n’est pas le fruit d’une inspiration fantaisiste et qu’on donne aux mots tout leur sens, si l’État de Côte d’Ivoire tient vraiment son engagement de respecter et de faire respecter la Constitution comme le mentionne l’article 28 de cette même Constitution, alors la légalisation de la polygamie pose problème.

Légaliser la polygamie, telle qu’envisagée par nos ‘’Honorables’’, remettrait en cause le principe d’égalité (en droit) des sexes. Contester le principe d’égalité homme-femme nous replongerait dans une société de réification de la femme, voire sa néantisation. Ce serait une régression grave de notre société puisque la femme (re)deviendrait un instrument destiné à la jouissance de l’homme, et ce dernier, un collectionneur à souhait de femmes. Notre société se donnerait ainsi le moyen d’être à l’origine d’une orchestration extravagante d’atteintes graves à la dignité de la femme. Mais, peut-être que nos seigneurs de l’hémicycle estiment que notre société mérite de retourner à un état presque de nature où la femme est la chose de l’homme ?

Deuxièmement, la loi fondamentale ivoirienne admet et indique, certes, pour l’instant encore, en tout cas dans son principe, que la femme est l’égale de l’homme. Heureusement ! Mais jusque-là, l’épouse accepte de porter le nom de son époux dès que le mariage est officié. Si la polygamie doit être instituée, elle doit l’être non seulement en tant que polygynie mais aussi en tant que polyandrie. Ainsi, la femme aurait le même droit que l’homme d’avoir autant de conjoints légaux que lui. Les questions peut-être banales qui pourraient se poser dès lors sont : quel nom porterait désormais la femme mariée ? Ou lequel des ‘’co-époux’’ aurait droit de faire porter son nom à la femme ? Ou encore, quel nom porteraient les enfants de telles unions ? Ne serait-il pas plus commode de leur faire porter le nom de leur mère ? Peut-être que c’est en prélude à cette loi que les noms des géniteurs ont subitement disparu des cartes nationales d’identité ! Peut-être que l’on s’apprête à les faire disparaitre également des extraits d’actes de naissance ! Je suis inquiet pour le type de société que nos tout-puissants Députés, ceux qui portent la voix de gens qu’ils n’entendent pas parce qu’ils n’écoutent pas, veulent instaurer.

Troisièmement, ceux qui préparent la légalisation de la polygamie, pour soutenir leur projet, nous servent l’argument selon lequel ce système social fait partie de notre culture, que ceux qui ont institué la monogamie ont vite fait de se trouver d’autres compagnes et que les hommes semblent ne pas savoir se contenter d’une seule épouse. Que la polygamie (en tant que polygynie) soit un fait culturel en Côte d’Ivoire n’est pas à réfuter. Cependant, tous les faits ou pratiques culturels reconnus méritent-ils d’être légalisés ? Suffit-il qu’un fait culturel soit reconnu comme tel pour lui donner valeur légale ? L’excision est une pratique culturelle qui a cours dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire, mais faut-il pour autant la légaliser ? Je ne suis pas le seul à savoir que la corruption est un phénomène qui constitue une véritable gangrène qui entrave sérieusement le développement de notre société. Je ne crois pas cependant qu’il faut légaliser la corruption parce qu’il y a des gens dans notre société qui la pratiquent.

Enfin, je ne crois pas que la légalisation de la polygamie soit la clef qui ouvre le portail de l’émergence à mon pays. Je ne crois pas que légaliser la polygamie donnera à chaque citoyen ivoirien de bénéficier des fruits de l’élégante croissance économique. Ce projet de loi, pour ma part, manque de cohérence, si l’objectif de nos gouvernants reste l’émergence.

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