Le Préfet Vincent Toh Bi invite le Président de la République à poser des actes de réconciliation

Le Préfet Vincent Toh Bi invite le Président de la République à poser des actes de réconciliation

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Au terme d’une tournée nationale de compassion aux victimes de la crise électorale, l’ex-Préfet d’Abidjan, Irié Vincent Toh Bi, président de Aube nouvelle, a animé une conférence de presse au Plateau, ce jeudi 17 décembre 2020. En vue de présenter son bilan de tournée relatif aux violences électorales qui ont émaillé  la présidentielle du 31 octobre 2020, et les conséquences desdites violences dans les rapports intercommunautaires. Ce, à travers un exposé liminaire autour de la problématique : «Côte d’Ivoire : la cohabitation entre les communautés est-elle encore possible ? ». Pour le Préfet Vincent Toh Bi, il urge que le Président de la République pose des actes de décrispation d’une situation de crise aggravée par les dernières violences électorales. Après celles de 2010 à 2012. Pour ce faire, le conférencier a demandé au pouvoir actuel de faciliter le retour des exilés, suite à la crise de 2010.  «Dans certaines régions, cette préoccupation demeure un sujet de préoccupation majeur », a relevé Vincent Toh Bi. En sus, il a invité les tenants du pouvoir à poursuivre  la libération des détenus du fait d’activités politiques engagées depuis 2012. Non sans indiquer que ce sont des récriminations constitutives d’hostilités dans certaines zones.  «Traduire en justice et infliger des sanctions à toutes les personnes ayant été auteurs ou complices de violences, procéder à des réformes sur le cadre général des élections avant les prochaines élections législatives. Le consensus maximal réduira les risques de violences au niveau local », a-t-il, entre autres, exhorté le régime. Voici l’exposé intégral du conférencier.  « CÔTE D’IVOIRE: LA COHABITATION ENTRE COMMUNAUTÉS 

        EST-ELLE ENCORE POSSIBLE?

INTRODUCTION (Témoignages)

« Ils ont tiré sur mon fils de 20 ans qui courait. Il est tombé. Ils sont venus sur lui et l’ont découpé à la machette ». 

« Le jeune homme de 24 ans est rentré dans la cour en courant. Il s’est agrippé à la vieille qui l’a serré dans ses bras . Ils ont botté la vieille et arraché le jeune et sont partis avec lui . Quand nous sommes sortis pour regarder, nous avons constaté qu’ils l’ont décapité ».

« C’était en plein jour. Ils ont envahi le quartier et ils ont mis le feu à cette maison-là. Il y avait 4 personnes à l’intérieur, qui poussaient des cris horribles. Mais on ne pouvait rien faire. Ils sont morts calcinés et le quartier a été détruit ».

« Ils sont arrivés dans le campement avec des machettes et des gourdins. On a fui. Ils ont attrapé un vieil aveugle et ils l’ont égorgé en commençant par la nuque. Ici où nous sommes assis, il y a eu plus de 10 morts ».

« Quand je suis arrivé avec mon gbaka, j’ai vu qu’ils avaient fait un barrage. Ils étaient armés. Je suis rentré dans la brousse. Ils m’ont tapé mais j’ai réussi à fuir. De loin, je les voyais en train de tuer un de mes amis qui n’a pas pu fuir ».

« Ils m’ont attrapé et ils m’ont tranché la gorge. Je me suis réveillé, j’étais dans le sang. Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas mort ».

« Un d’entre eux a pris une machette et il a coupé mon bras ».

Au fil de nos voyages dans les localités qui ont connu des violences, les témoignages font froid dans le dos.

I – BILAN

296 maisons incendiées, 84 commerces pillés : c’est le bilan minime des violences dans les localités visitées (Bonoua, Dabou, Yamoussokro, Toumodi, Daoukro, Oumé, Hiré, Divo, Bongouanou, Sikensi, Bonzi, Sankadiokro, Akoupe, Abli, Dieouzon, Tehiri, M’Batto, Bongouanou, Elibou, Sakassou, M’Bahiakro, Diabo, Tiebissou).

Le bilan matériel et humain complet et réel des violences entre le 06 Août et le 30 Novembre 2020 est difficile à évaluer. Les sources et les communautés que nous avons rencontrées sont elles-mêmes incapables de dire ce qu’elles ont perdu et qui manque à l’appel dans leurs rangs, puisqu’il y a eu des dispersions.

II – COMPARAISON

Entre la mi-2017 et la mi-2018, il y eu des affrontements de différentes natures au sein des communautés locales et une bonne dizaine d’affrontements intercommunautaires dans l’Ouest, dans la forêt classée du Goin Debe et les forêts avoisinantes.

Dans le centre et le sud, il y a eu également des affrontements intercommunautaires dont le plus violent a eu lieu à Béoumi avec plus d’une dizaine de morts.

Sur la période citée, ci-dessus, plus de 110 attaques contre les symboles de l’Etat ont eu lieu tant au Nord, au Sud, à l’Ouest, au Centre qu’à l’Ouest.

III – ETAT DES LIEUX 

Cependant, les affrontements d’Août à Novembre 2020 sont sans commune mesure avec ceux précédemment cités, en raison de leur simultanéité, du nombre de localités touchées, de l’ampleur des dégâts et de la nature des crimes commis.

Les communautés dans ces localités sont encore en colère les unes contre les autres . Nous avons pu noter des témoignages et des émotions insoutenables. 

La cohésion autant dans les zones qui ont connu des conflits violents que dans les zones qui ont été « calmes » montre des failles. 

Il apparaît évident que des conflits que l’on peut qualifier de communautaires ont eu lieu et que la fracture sociale est une réalité à laquelle il faut faire face dans certaines localités de Côte d’Ivoire.

Pour mieux anticiper sur l’éclatement de possibles conflits à l’avenir, il convient d’analyser les causes possibles de ces violences.

IV – LES CAUSES DES CONFLITS INTER COMMUNAUTAIRES

1.    CAUSES POLITIQUES 

Les bases tribales et régionales des partis politiques, les discours de haine publics ont créé un pacte malsain entre la politique, l’ethnie et la région.

Les crises politiques successives suivies ont donc accéléré la dégradation de la cohésion communautaire.

Les évènements politco-militaires de 2002 à 2010

Les évènements politco-militaires de 2002, la partition et les tensions politiques qui s’en sont suivies ont modifié les démographies locales, la situation financière des ménages et accru la méfiance entre les communautés nationales et régionales. 

La crise politique qui a suivi cette période a exacerbé ces tensions. Cependant, les efforts nationaux et internationaux ont permis de stabiliser la situation sociale.

La crise post-électorale 2010-2011

La crise post-électorale 2010-2011 a fait éclater l’hostilité entre communautés. La crise la plus grave de l’histoire de la Côte-d’Ivoire moderne a eu les conséquences que nous vivons encore aujourd’hui.

Les initiatives nationales et institutionnelles de 2011 à 2018 de réconciliation ont relativisé les hostilités communautaires mutuelles. 

Les dissensions au sein du RHDP

En 2018, les apparentes dissensions au sein du RHDP ont réveillé les tensions communautaires dans certaines zones.

« Le 3ème mandat » et la désobéissance civile.

À Bonoua, Dabou, Daoukro et d’autres localités, les tensions ont éclaté dès le lendemain de l’annonce de la future candidature du Président de la République. Les mots d’ordre de mobilisation de l’opposition et plus tard la désobéissance civile ont également engendré des situations de violences locales.

2.    LES CONFLITS LATENTS 

Il est connu dans la doctrine de compréhension des conflits communautaires que les raisons immédiates et apparentes ne sont que le déclencheur de crises ouvertes ou latentes.

Dans les différentes communautés que nous avons visitées, subsistaient déjà :

•    Des conflits fonciers ;

•    Des conflits de prééminence communautaire et culturels ;

•    Des conflits relatifs au développement (eau, route, infrastructures) ;

•    Des conflits économiques et commerciaux ;

•    Des antécédents de mésentente religieuse ;

•    Des problématiques de jeunesse (emploi, drogue, loisirs) ;

•    L’insécurité.

Ces problématiques sont apparues de façon plus ou moins fortes dans toutes les localités qui ont connu des violences. 

3.    L’ORGANISATION DE MANIFESTATIONS ET MARCHES 

À Bonoua, Dabou, M’Batto, Daoukro les premiers affrontements directs sont partis de l’itinéraire des marches. Très souvent, des lieux de culte et des commerces sur l’itinéraire des marches ont été la discorde de déclenchement des hostilités.

Dans les autres localités, les conflits ont débuté par un affrontement avec les forces de l’ordre avant de glisser vers des affrontements au sein des communautés. 

4.    LES RUMEURS D’ATTAQUES PAR DES GROUPES INFORMELS

Les rumeurs d’attaques vraies ou infondées de groupes venus d’ailleurs ont accru l’intensité des violences. 

Les arbres abattus, routes dégradées, barrages dressés l’ont été autant pour les forces de l’ordre que pour ralentir la progression de groupes hostiles et pour perturber l’interconnectivité des villes des régions. Des arbres centenaires ont ainsi été abattus.

Les rumeurs de la présence de snipers sur des édifices religieux ont attiré sur ces édifices la violence de certains manifestants dans une localité .

Il faut regarder la vérité en face : la cohésion communautaire dans certaines localités s’est durablement fragilisée.

V – QUELLES SONT LES PERSPECTIVES ? 

1.    L’AMORCE D’UN DIALOGUE

L’amorce d’un dialogue a fait retomber le niveau de tension sociale. Cependant, chaque fois que des communiqués des états-majors des partis politiques haussent le ton, l’on constate de nouvelles échauffourées locales. La poursuite du dialogue et des gestes réels d’apaisement de part et d’autre pourraient améliorer la vie communautaire. 

2.    POSSIBILITE DE VIOLENCES A L’OCCASION DES ELECTIONS LEGISLATIVES A VENIR

Quelle que soit l’attitude des principaux blocs politiques les jours à venir, il faudra s’attendre à ce que les prochaines élections législatives soient encore l’occasion de violences. En effet, les débats qui ont prévalu pendant l’élection présidentielle referont surface : interprétation de la Constitution, (im)partialité du Conseil Constitutionnel et de la CEI, légitimité de certaines institutions, révision de lois, liberté d’expression, libération de détenus, liberté de manifestation. 

Suite aux inimitiés exprimées entre communautés en Août-Novembre 2020, les choix par les partis de leurs candidats locaux (selon qu’ils sont « allogènes » ou « autochtones »), la position des candidats indépendants alimenteront la vie politique locale. Les questions de prééminence culturelle et d’exclusivité du Pouvoir politique local s’inviteront dans le débat, si de larges concertations consensuelles ne sont pas menées.

Les conflits inter communautaires provoquent toujours d’autres conflits inter communautaires d’ampleurs plus ou moins grandes. Avec les violences, les frustrations, les appels à la vengeance, le développement de l’hostilité inter communautaire dans certaines zones, il est fort à craindre que d’autres faits politiques ou sociaux soient des arguments pour des nouvelles éruptions de conflits inter communautaires.

VI – QUE RECOMMANDONS-NOUS ?

•    Au Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité 

    Une évaluation exacte des dégâts et du bilan à l’occasion des violences passées afin de suivre l’état d’esprit des populations de localités particulières ;

    Le renforcement de la sécurité et une présence persuasive dans les « zones post-conflits », car certaines populations ont cessé toutes activités sociales et économiques, en raison de la peur.

•    Au Ministère de la Solidarité 

    Assurer un accompagnement social pour les familles sinistrées (maisons incendiées, blessés) ou endeuillées ;

    Examiner des soutiens aux entreprises, commerces et activités informelles pillés ou détruits ;

    Engager un processus de réconciliation et de cohésion à la base impliquant les jeunes et les chefs de famille. « Comment on peut me demander de me réconcilier quand ma maison a été incendiée et que je ne sais plus où dormir »

•    Aux forces de sécurité intérieure 

    Rétablir la confiance avec les populations locales ;

    Renforcer ou réactiver les comités police-populations, civilo-militaire ;

    Enquêter et rendre publics les rapports sur « les attaques par les civils venus d’ailleurs » afin de restituer la vérité et rétablir la confiance avec les populations.

•    Aux Autorités Préfectorales et locales 

    Établir un système d’information locale et rapide afin d’éviter les rumeurs dévastatrices. Dans beaucoup de cas, le colportage de fausses informations a occasionné de sérieux dégâts. La restitution souvent lente de la vérité par les autorités nationales a donné lieu à l’aggravation des conflits locaux ou à la contagion d’autres localités du pays ;

    Descendre à des échelons plus bas pour les concertations locales ; les concertations 

« élitistes » avec les chefs de communautés et des leaders locaux dans les zones en conflits n’ont pas toujours été efficaces et les nombreux comités de veille, comités de paix, comités de concertation pourraient inclure des populations directement ;

    Définir les itinéraires définitifs, permanents et officiels de toutes les marches et manifestations dans chaque localité ;

    Accompagner et favoriser le dialogue intra et inter communautaire par des activités de rencontres et d’échanges publiques.

•    À la Chambre des Rois et Chefs Traditionnels 

    Veiller à l’apolitisme des Autorités traditionnelles afin de légitimer leurs interventions dans les conflits ;

    Jouer le rôle d’alerte et d’avertisseur de conscience ; la boussole traditionnelle est le plus puissant garant de la stabilité communautaire ;

    Etablir des protocoles de règlement des conflits fonciers locaux ;

    Former les autorités traditionnelles à la prévention et à la gestion des conflits.

•    Aux partis et formations politiques 

–    Assurer la formation au civisme des cades locaux ;

–    Evaluer les impacts locaux des décisions nationales.

•    Aux populations 

–    S’abstenir des actes de violences ;

–    S’inscrire dans les initiatives de paix locales et nationales.

•    Recommandations générales 

–    Repenser « le contrat communautaire » : « nous les avons accueillis à bras ouverts ; nous leur avons donné des terres ; nous leur avons donné des places pour faire le commerce. Maintenant ils sont devenus riches et arrogants. Ils ne nous respectent plus. Ils nous narguent et veulent nous chasser de nos propres terres ». « Ils sont paresseux. Ils ne travaillent pas et ils sont jaloux de nous », « nous avons toujours vécu ensemble depuis des décennies. Nous ne savons pas ce qui s’est passé pour qu’on se batte comme ça ». Les codes et habitudes du voisinage actif ont été rompus dans certaines localités. Il faut les rediscuter ;

–    Engager des actions collectives locales d’éducation au civisme ;

–    Reinitier les animations culturelles de cohésion ;

–    Favoriser les emplois locaux jeunes et occupations professionnelles de base ; 

–    Remettre à discussion la question de la nationalité pour les populations ayant vécu par descendance plusieurs décennies en Côte d’Ivoire ;

–    Faciliter le retour des exilés, suite à la crise de 2010. Dans certaines régions, cette préoccupation demeure un sujet de préoccupation majeur ;

-Poursuivre  la libération des détenus du fait d’activités politiques engagée depuis 2012. Ce sont des récriminations constitutives d’hostilités dans certaines zones;

–    Traduire en justice et infliger des sanctions à toutes les personnes ayant été auteurs ou complices de violences ;

–    Procéder à des réformes sur le cadre général des élections avant les prochaines élections législatives. Le consensus maximal réduira les risques de violences au niveau local.

CONCLUSION 

Oui, la vie entre communautés en Côte d’Ivoire est encore possible, si les autorités traditionnelles, religieuses, administratives, si les populations, si les partis politiques s’investissent dans des actions de renforcement de la cohésion communautaire. La paix, la réconciliation et la cohésion sont le résultat de constructions actives permanentes. Il est de la responsabilité du Gouvernement d’initier les actes d’apaisements et d’accompagner toutes les initiatives locales ou nationales de cohésion communautaire» .

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