Cette note traduit les réflexions des membres d’une association humaniste
laïque. Elle se veut une contribution à la définition d’une politique nationale
réaliste de lutte contre le Covid-19. Cependant, les propositions faites ici, dans
les grandes lignes, sont adaptables dans d’autres pays africains.
Depuis plusieurs semaines, le monde entier est secoué par une crise sanitaire inouïe
aux conséquences graves et multisectorielles. En effet, parti de son berceau chinois, le Coronavirus a touché d’abord les pays les plus intégrés dans la mondialisation avant d’atteindre les périphéries. Si pour l’heure, les chiffres dans ces périphéries semblent relativement bas, l’ampleur du mal dans les pays riches, la rapide contagion
du virus, sa létalité en constante progression et, par-dessus tout, les faiblesses structurelles des systèmes sanitaires et plus largement sociaux des pays en développement – surtout la modicité des moyens comparés à ceux des pays éprouvés – font craindre le pire. Il devient donc fondamental pour tous de contribuer à la réflexion et, mieux encore, à l’action pour freiner le Coronavirus. C’est dans ce cadre que se situe cette contribution à la compréhension des enjeux sociaux mais aussi aux réponses que nous pouvons apporter à la menace du COVID-19, en tenant compte des spécificités socioculturelles de notre pays.
Lutter autrement contre le Covid-19 ?
Dès l’apparition des premiers cas, les autorités ivoiriennes ont pris des mesures
visant à ralentir la progression du virus. Ainsi, le 16 mars, le Conseil National de
Sécurité a annoncé une série de décisions dont l’objectif est de limiter les
déplacements, d’imposer les mesures barrières et de faire accepter la distanciation sociale.
Ces décisions se sont corsées jusqu’à l’instauration d’un couvre-feu,
l’interdiction de certains lieux publics et l’isolement du Grand Abidjan. En réalité, les mesures prises jusque-là sont conformes aux pratiques universelles du moment.
A ce jour, près de la moitié de la population mondiale est confinée. L’histoire des
épidémies et les succès de la Chine qui semble retrouver la normalité plaident en
faveur des responsables ivoiriens. Ceci encourage certains d’entre nous à plaider
pour un confinement total en Côte d’Ivoire. Il convient d’admettre que dans
l’hypothèse d’une augmentation du nombre de cas positifs au Coronavirus, cette décision s’avèrerait inévitable.
Pourtant, les réalités socio-économiques de notre pays et, plus largement, de notre
continent amènent à approfondir la réflexion ; à sortir des sentiers battus et à
rechercher un cheminement original aboutissant à des solutions innovantes, réalistes et réalisables. Les propos de Patrice Talon, Président du Bénin, sur la question du confinement – en gros, il estime que cette solution ne tient pas compte de nos réalités – et le coût de la mesure dans les pays développés – prise en charge des loyers, des factures, garanties de prêts pour les entreprises – donnent à réfléchir. Quand on ajoute à cela le fait que l’écrasante majorité de notre population vit dans et de l’informel, que des centaines de milliers d’Ivoiriens vivent dans les quartiers populaires, des zones de forte concentration d’habitats précaires, il y a de réels motifs d’inquiétude. Ne verront-ils pas le confinement total comme une entrave à leur liberté de quête de revenus quotidiens et ne seront-ils pas tentés de protéger la possibilité quotidienne de s’approvisionner en denrées alimentaires ?
De telles incompréhensions peuvent entraîner des émeutes, l’inquiétude du gouverneur de Johannesburg –et transformer des mesures jugées salutaires en crise sociopolitique bien plus grave que la crise sanitaire.
Dans ce contexte-là, il faut travailler à deux objectifs essentiels. D’abord, trouver les moyens de nous éviter un confinement général. Ensuite, identifier les conditions du succès d’un confinement total si cela venait à s’imposer.
En l’absence de traitement et de vaccin, le meilleur moyen de nous éviter un
confinement total, c’est de briser la chaîne de contamination. Cela passe inévitablement par la sensibilisation, ou disons plus largement la communication. S’il est important de saluer les initiatives en la matière, des efforts complémentaires sont nécessaires pour rendre le dispositif encore plus efficace. En situation épidémique, notre politique de communication doit tenir compte des scènes de la vie sociale au quotidien surtout dans les villes où le risque de propagation du virus est plus élevé.
La communication de crise doit y être marquée par des actions de proximité sociale.
La communication de proximité devrait emprunter la voie de la mobilisation, au niveau local, des leaders communautaires et religieux, des stars de la musique et du sport et solliciter l’implication des grandes entreprises au titre de leur responsabilité
sociale. Elle suppose aussi l’usage des réseaux sociaux surtout pour une
communication en direction de la jeunesse. Pour les quartiers populaires, le recours
au tam-tam, aux griots et l’usage des mégaphones avec des messages en langues
vernaculaires devrait être envisagé.
On doit le faire avec des contenus adaptés et attractifs. Les informations et les messages doivent être clairs, digestes et parfois agressifs pour amener les populations à connaître la maladie et prendre la mesure du risque qui lui est associé.
Plonger dans une communication à des fins politiques ne sera que contre-productif.
En revanche, voir les leaders politiques, la main dans la main, s’investir dans la
sensibilisation est une nécessité.
Le porte-à-porte doit être aussi exploité. Des agents du ministère de la santé et de
l’hygiène public, des stars de la musique ou du sport, des intellectuels et des leaders
peuvent être invités à s’impliquer utilement. Il est fondamental d’accentuer la sensibilisation et la pédagogie par des acteurs et des supports plus parlants.
Ces propositions doivent s’accompagner de la lutte permanente contre les fakes
news. Le chapitre des feuilles de neem est révélateur de l’ampleur de la tâche. En
tout état de cause, il faut assurer une communication fluide et transparente pour
informer tout le monde et éviter les rumeurs.
L’autre option pour éviter le confinement serait un dépistage massif. Les exemples
coréens et allemands en montrent l’efficacité. Le prix d’une telle opération dont le coût unitaire évalué à environ 135 euros/personne serait l’idéal mais financièrement irréaliste dans nos pays. En attendant les résultats de la recherche sur le vaccin, et compte tenu de nos ressources limitées, nous pouvons faire l’option d’une approche mixte combinant dépistage sélectif et confinement participatif. Le dépistage sélectif consiste à tester systématiquement la frange de la population particulièrement vulnérables au Covid-19, à savoir : le personnel de santé, les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes ayant effectué un séjour durant les 45 derniers jours dans les pays considérés comme étant des foyers épidémiques et les personnes vivant avec des pathologies chroniques telles que le diabète, le cancer, l’hypertension
artérielle et le VIH-Sida. Le dépistage systématique de ces catégories de personne, sans aucune stigmatisation, devrait permettre d’anticiper, en cas de propagation accélérée du Covid-19, toute détérioration accélérée de leur état de santé qui pourrait mettre la pression sur le système de santé déjà fragile.Ce qui n’empêche pas de se préparer au confinement participatif.
Pourquoi participatif ? Parce que nous incluons autant que faire se peut dans le processus, la frange de la population en marge des flux d’informations mondiaux sur le Covid-19. Car, avouons-le, ne pas prévoir l’éventualité d’un confinement, c’est faire preuve tout au moins de candeur sinon d’irresponsabilité.
Se préparer au confinement, revient à préparer les populations à cette éventualité.
L’isolement d’Abidjan et le couvre-feu sont déjà des pas ; mais commencer à évoquer
l’éventualité du confinement dans les débats publics est aussi un bon moyen de s’y préparer. Les leaders politiques et sanitaires, dans leurs sensibilisations doivent pouvoir évoquer cette possibilité en la dédramatisant. Un allongement progressif des horaires de couvre-feu serait une méthode d’entrée dans un confinement progressif avant une généralisation. Tout confinement suppose un accompagnement des couches les plus vulnérables de la population.
Financer le confinement total des populations : pourquoi et comment ?
L’on ne peut évoquer l’option d’un confinement total sans envisager les enjeux financiers du coût de subsistance lors du confinement éventuel des populations à conditions précaires du Grand Abidjan et d’explorer des pistes de son financement.
Selon les dernières données statistiques dont nous disposons, la population du
Grand Abidjan était d’environ 4,7 millions d’habitants en 2015. Pour tenir compte de
l’évolution démographique de ces 5 dernières années et pour les besoins de cette note, on retiendra le chiffre de 5 millions d’habitants.
Selon les dernières déclarations du Premier Ministre, le taux de pauvreté en Côte d’ivoire est de l’ordre de 38 %. Les publications faites en 2015 faisait apparaître des taux variant entre 47 et 51 %. Si l’on table sur le taux annoncé par le Premier Ministre de 38% et partant de l’hypothèse que le taux de pauvreté est plus faible à Abidjan que dans le reste de la Côte d’Ivoire, on peut estimer – par prudence et pour les besoins de la présente note – sur un taux de 35 %. Toujours selon les données disponibles, le seuil de pauvreté est d’environ 770 fcfa par jour. Sur la base des données indiquées ci-dessus, les populations à conditions précaires peuvent être évaluées à 1,9 millions d’habitants ( 5 millions ×38%) que nous arrondissons à 2 millions. Si le seuil de pauvreté est établi à 770 FCFA au niveau national, on peut raisonnablement estimer qu’il est le double soit 1500 FCFA par jour dans le Grand Abidjan.
Sur cette base, le coût de financement hors prestations sanitaires du confinement de
ces populations pendant 45 jours peut-être évalué à 135 milliards de FCFA (1500
FCFA×2 000 000×45).
A notre avis, une bonne rationalisation de l’opération associée aux économies
d’échelles qu’on peut raisonnablement attendre d’une telle opération d’envergure
peut conduire à baisser ce coût de 15 à 20%, le ramenant entre 110 et 115 milliards
de FCFA. Bien entendu, cette évaluation comprend essentiellement le coût de
subsistance de ces populations (distribution de bons alimentaires ou de vivres, etc…) à l’exclusion des prestations de santé et d’hygiène incontournables en de telles circonstances.
Si effectivement le périmètre contaminé est essentiellement Le Gand Abidjan et la
solution incontournable est le confinement, l’allocation d’un budget de 115 milliards ne paraît pas déraisonnable.
Son financement peut être assuré par quatre sources possibles et non exhaustives :
- L’État, en conformité avec son rôle régalien d’assurer la protection et le soin des populations. Il pourra le faire en utilisant tous les leviers à disposition, notamment le budget national, la levée de Fonds, l’effort des organismes de prévoyance, A cet égard, il convient de vérifier s’il existe des ressources disponibles dans l’enveloppe de 1700 milliards annoncée par le Président de
la République - Les aides bilatérales spécifiques.
- Les contributions multilatérales (Nations Unies, bailleurs de fonds
internationaux. - Les dons en numéraire et en nature faits par les nationaux. Dans ce dernier registre, les individus, les organisations caritatives, les collectivités territoriales territoriales, les associations laïques ou religieuses pourraient trouver un espace d’expression organisé et structuré. Car l’opération ne sera guère possible sans leur contribution active.Sur la base de cette esquisse des enjeux financiers, il est important d’insister sur le point suivant : l’éventuel confinement des populations à conditions précaires n’a de sens que si elle repose sur une approche sociologique claire et une bonne organisation logistique. Les collectivités territoriales, en s’appuyant sur les ONG et les leaders communautaires, doivent être au cœur de la préparation et de l’action en cas de confinement. Elles doivent dès maintenant organiser les cadres de solidarité intracommunale autour des besoins et des contraintes qui pourraient surgir durant la phase de confinement. Leurs connaissances de l’environnement et leurs maitrises des administrés sont des atouts pour y parvenir. Par ailleurs, elles pourront être un levier intéressant de l’action et de la coordination de l’aide publique voire privée. En effet, plus que jamais, les cadres de solidarités traditionnelles et sociétales doivent être mobilisés en faveur des populations les plus vulnérables en cas de confinement. Dès maintenant, chaque habitant de ce pays, chaque ivoirien doit intégrer qu’il sera amené à aider voire sauver un frère. Les familles à mesure de faire des provisions ne doivent pas ignorer que certains vivent sans épargne. Les plus jeunes doivent intégrer qu’ils doivent protéger les plus âgés, plus exposés, en ne prenant pas de risque par la défiance des consignes données par les autorités sanitaires. Les entreprises doivent désormais orienter leurs productions vers l’effort de guerre que nous mènerons contre le COVID. La production de Gels hydro-alcooliques, de masques, de lits de réanimation, doivent désormais être une priorité pour nos industriels. La tâche est immense. Les pouvoirs publics ne pourront y répondre tous seuls. Il faut retrouver dans les valeurs traditionnelles de notre société, les leviers de la victoire
contre le Coronavirus tout en se tenant prêt à modifier certains de nos habitudes, du moins, le temps du combat.
Il a été clairement évoqué le rôle central des collectivités territoriales, des ONG , des
agences spécialisées de l’ONU etc… dans la mise en œuvre du confinement des
populations à revenus faibles à Abidjan. Il été également évoqué la nécessité de faire
appel aux bonnes volontés citoyennes pour la mobilisation des dons de toutes
natures. Pour ce faire, on pourrait créer un « Fonds de solidarité Covid19 » dont la
vocation serait de mobiliser et de redistribuer ces dons. Étant entendu que pour des raisons d’efficacité, la gestion de ce Fonds serait paritaire (secteur public – secteur privé)
Pour finir, nous voudrions insister une fois encore sur le caractère pernicieux de ce
virus : son invisibilité amplifiée par le nombre important de personnes contaminées symptomatiques qui contaminent les autres. Anticiper et devancer la propagation d’un tel virus sur le terrain nous paraît l’option stratégiquement plus efficace.
A cet effet, un plan de riposte adossé à une bonne approche sociale et culturelle sera une arme, et la chaine d’union et de fraternité, une méthode efficace contre cet ennemi invisible. Osons la solidarité. Pensons solidarité contre le COVID-19 pour une nation encore plus forte.
Association ADN and Co
Abidjan le 6 Avril 2020